Projet de PRU « Quartier Léopold » de Besix – l’analyse de Ramur

Que de chemin parcouru depuis l’intention de départ en 2007 d’empêcher l’implantation d’un centre commercial en périphérie pour sauver le centre-ville !

Vous trouverez ici un résumé des épisodes précédents de la saga du parc Léopold, qui avait été publiée dans le magazine Confluent n° 591, en juillet 2019.
Les personnages principaux, les enjeux, les motivations n’ont hélas pas changé, malgré la pandémie que nous traversons ; cela rend cette analyse encore plus pertinente.

Après lecture des documents détaillant le projet de PRU sur le site parc Léopold, l’ASBL Ramur et le Collectif parc Léopold présentent leur analyse sur le sujet.

Nous dénonçons :

  1. La perte d’espaces publics au profit d’intérêts financiers privés
  2. L’irresponsable gestion environnementale qui consiste pour la majorité communale à substituer de la végétation hors sol à un demi-hectare de parc arboré, à créer un nouveau parc sur un site déjà construit (qu’il faudra démolir et assainir aux frais du contribuable), et enfin à croiser les doigts pour que les administrations qui lui succèderont assurent 20 années de saine gestion à ce nouveau parc, afin de retrouver un milieu équivalent au parc abattu
  3. Le mépris affiché par la majorité politique pour l’opinion publique : déni de la consultation populaire confisquée par le pouvoir politique et mise en place d’ateliers de « co-construction » sans légitimité démocratique, dont les avis les plus structurants n’ont même pas été respectés par le promoteur.
  4. La prétendue perméabilité du complexe est un leurre : ce type de projet est conçu de sorte que le consommateur y trouve tout ce qu’il cherche
  5. Il faut au contraire craindre une cannibalisation de la prospérité du quartier commercial historique, que les grandes enseignes locomotives vont fuir, provoquant une déstructuration brutale et durable de la vieille ville, comme cela s’est vu ailleurs en Wallonie.

Alors que les villes visionnaires déminéralisent et végétalisent leurs espaces, Namur reste définitivement ancré dans cette philosophie du tout au béton et de l’artificialisation de son environnement naturel.
Si ce projet aboutit, Namur va brouiller son image dynamique en étant la dernière grande ville de Wallonie à se doter d’un centre commercial, à l’heure où plus personne ne veut de ces vestiges obsolètes du XXe siècle.

1) Nous dénonçons la perte d’espaces publics au profit d’intérêts financiers privés

La situation existante offrait un potentiel de près de 57.000 m² d’espaces publics accessibles gratuitement. Le projet actuel réduit l’espace public à une succession de trottoirs et un escalier monumental d’une superficie approximative de 2.200m².

  • Vouloir qualifier d’espaces publics de rencontre et de convivialité, des escaliers et des trottoirs, certes élargis, mais dédiés aux déplacements des piétons relève de l’ironie. Les fonctions libres d’accès et gratuites qu’offraient le parc Léopold pour s’assoir ou se reposer, se mettre à l’ombre ou à l’abri du bruit de la circulation, ou même laisser jouer les enfants, seront perdues ou partiellement déportées vers des espaces Horeca payants.
  • Le projet est présenté comme un nouveau quartier; présentation que nous qualifions de mensongère.
    • L’accès à la partie centrale n’est autorisé qu’aux conditions imposées par le propriétaire : fermeture hors horaires commerciaux, conditions de circulation et sécurité assurées par le propriétaire …
    • De toutes les manières, les parties accessibles au public ne permettront aucune des fonctions dédiées habituellement à l’espace public : détente, pique-nique, jeux d’enfants …etc

2) Nous dénonçons l’irresponsable gestion environnementale au niveau communal

Le projet tel que présenté est la suite logique d’une gestion de ville totalement déconnectée de l’urgence environnementale, de la perte vertigineuse de biodiversité à tous les niveaux et de la crise sanitaire que nous traversons.

  • Il s’implante sur le dernier espace arboré de l’hyper centre ville sur lequel sont présents des arbres en tout point remarquables.
  • L’aspect biodiversité n’est abordé que sous le seul aspect des arbres alors même que la biodiversité y inféodée n’est même pas prise en compte
  • Il propose un parking voitures de 900 places à l’inverse de toutes les tendances volontaristes en matière de mode de déplacements doux et de réduction des gaz à effet de serre. Ce choix est d’autant plus aberrant que la qualité de l’air en ville est très moyenne, surtout aux heures de pointe, et que ce projet va induire 4.000 mouvements de voiture supplémentaires alors que sur ce même axe de pénétration, la ville a installé en périphérie un nouveau P+R censé décourager l’entrée des véhicules en centre urbain. CE P+R est resté quasi désert depuis son ouverture…
  • Le projet met en avant la situation avantageuse du site de par sa proximité aux transports publics (gares des trains et bus), avec l’objectif d’encourager le développement de la mobilité douce. Cet objectif est en contradiction avec l’intégration au projet d’un parking de 900 places, qui aura un effet dissuasif pour la mobilité douce. La littérature scientifique sur les choix modaux est en effet extrêmement claire sur ces questions : augmenter l’attractivité du mode voiture se fait mécaniquement contre l’attractivité du transport public.
  • Le projet est un pur produit de greenwashing poussé à l’extrême.
    Sur les illustrations présentées :
    • La majorité des plantations proposées au sein du bâti le sont dans des pots ou bacs de dimension variable. Aucune structure ne laisse entrevoir la possibilité de plantation en pleine terre, seul gage d’un développement conséquent de la végétation
    • Le projet n’est pas en mesure de proposer une végétation apte à remplir les fonctions attendues habituellement d’un espace arboré alors même que la densification de l’activité humaine sur le site nécessiterait une augmentation de son potentiel en terme de capacité d’ombrage, de réduction de la température ou d’amélioration de la qualité de l’air
  • Les espaces publics en bordure de voirie présentés comme végétalisables (avec des herbacées notamment) sont ingérables et irréalisables au vu des flux piétons attendus
  • Les plantations figurant en bordure de la rue Borgnet sont irréalistes au vu de la largeur de trottoir disponible et des obstacles à la circulation qu’ils pourraient constituer, ainsi que de la gêne qu’ils pourraient induire pour les habitants des immeubles riverains. Le RIE stipule d’ailleurs que ces plantations ne seront possibles que si la présence d’impétrants l’autorise, ce qui n’a pas été vérifié.
  • La proposition de transplantation d’arbres présents sur le site du parc relève de l’ineptie totale et du greenwashing le plus abouti ; les petits sujets sont d’un intérêt purement symbolique et les sujets moyens jugés transplantables induiront des coûts injustifiés au regard de leurs chances de reprise
  • L’argument de compensation par la création d’un parc sur le site actuel de l’Espena, qui justifierait l’éradication de la zone végétalisée du parc Léopold est aberrante. La transformation de ce site en zone de parc est une hérésie financière, écologique et énergétique. Son achat (2.1 millions d’euros) et son aménagement vont nécessiter des fonds importants supportés par les citoyens, et les diverses nuisances engendrées par l’excavation, la démolition des structures militaires, la dépollution et l’apport de matériaux propres aux plantations vont induire une pollution que ne compenseront jamais les plantations projetées. S’il s’avérait utile de développer un projet immobilier, c’est sur ce site qu’il aurait été intéressant de le faire et non sur l’espace Léopold
  • Le projet Besix prive les Namurois du seul espace accessible en centre ville leur offrant un peu de fraîcheur en période de canicule. Si les parcs projetés venaient à être créés, il faudrait attendre plus de 20 ans avant de retrouver cette opportunité
  • Enfin, comment croire une majorité communale qui a laissé à l’abandon pendant 20 ans le parc Léopold – au point que notre bourgmestre, pourtant responsable de sa gestion, s’autorise aujourd’hui à le qualifier de «chancre» – quand la même majorité promet non seulement de construire un nouveau parc, mais aussi de l’entretenir dans la durée ?

3) Nous dénonçons le mépris affiché par la majorité politique pour l’opinion de sa population !

Alors même que la majorité politique propose un échevinat de la participation, cette majorité affiche le plus total mépris pour l’avis rendu lors de la consultation populaire qui demandait la restauration et le maintien de l’espace parc Léopold.

Le comité de conciliation instauré au terme de cette consultation n’aura été qu’une manœuvre de manipulation qui s’est répétée lors du groupe de co-construction pour l’espace Léopold que 4 associations (dont le collectif et l’association des commerçants) ont quitté tant la manipulation des participants s’était révélée évidente.

Néanmoins et alors qu’une abondante référence est faite sur les conclusions de ce groupe pour justifier certains aspects du projet actuel, il est affligeant de constater que toutes les recommandations qui gênaient le promoteur ont été totalement ignorées :

  • Les espaces publics doivent être les éléments structurants du projet
  • Nécessité d’intégrer le projet dans une réflexion macro en matière d’espaces verts, de paysages et de biodiversité
  • Des espaces publics structurants et fonctionnels, des cheminements piétons et cyclistes, et qui créent du lien social
  • Eviter les galeries commerciales qui sont fermées la nuit, réduisent la perméabilité piétonne le soir et ne sont pas accessibles à vélo

4) Nous dénonçons l’obstination et le manque de recul en matière urbanistique

La vision globale du futur de cette ville ne passe que par sa densification immobilière et par ricochet l’augmentation de sa population (résidentielle ou professionnelle), sans prise en compte des besoins de cette nouvelle population en termes d’espaces partagés et de qualité de vie. Le facteur humain est donc entièrement oublié au profit d’intérêts financiers à court terme des promoteurs privés.

  • Ainsi, comment qualifier de logement de “qualité “ un appartement dont la terrasse donne sur une structure ferroviaire hyper active et extrêmement bruyante de jour comme de nuit et une passerelle de bus.
  • Dans le même ordre d’idées, la rue Borgnet devient un couloir incroyablement sombre, la construction de logements de qualité ayant donc pour conséquence de dégrader la qualité de logements existants. En outre, l’harmonie des superbes bâtiments (hôtel Bibot) du rond-point Léopold est complètement écrasée par le bâti proposé

La pandémie COVID-19 accélère tellement de mutations dans nos sociétés qu’il est à ce stade impossible d’en tirer toutes les conséquences; cette crise profonde et durable devrait inciter tous les décideurs à se laisser le temps d’intégrer l’impact COVID dans tous leurs projets structurants, a fortiori quand ces projets s’inscrivent dans le temps long nécessaire à l’évolution d’une ville ancienne.
A l’inverse, le promoteur peut lui se contenter d’un horizon d’investissement beaucoup plus court, puisque le projet entier sera revendu peu après son inauguration. Le promoteur a intégré l’incertitude liée au COVID en prévoyant une réversibilité des différentes fonctions (commerce / bureau / résidentiel), qui lui permettra d’adapter sa configuration aux conditions du marché lors de la revente du projet dans 4 à 5 ans.

Pour illustrer qu’en ces temps de crise bien des certitudes sont à revoir : une des premières conséquences documentées de l’impact du COVID sur la gestion urbaine est la tendance au «desserrement urbain (*, qui va entrer en conflit avec la politique bien établie de l’actuelle administration communale de lutte contre l’étalement urbain, illustré à merveille par la densité qu’autorise ce nouveau PRU.
(*) Jean Cavailhès, dans la Revue Foncière

5) Nous craignons une cannibalisation et à court terme une déstructuration brutale et durable de la fonction commerciale historique de la vieille ville

La prétendue perméabilité du complexe avec le centre-ville historique est un leurre: ce type de projet est conçu de sorte que le consommateur y trouve tout ce qu’il cherche; il se gare, consomme et repart.
L’objectif de revente rapide du complexe avec profit maximum (plus de 50% de plus-value pour Rive Gauche à Charleroi, 1 an après son ouverture) impose au promoteur une stratégie immédiate d’attraction massive des locomotives commerciales, qui vont déserter le centre-ville commercial historique, diminuer sa fréquentation et accélérer le problème de cellules vides.


C’est arrivé près de chez vous, à Charleroi !

On cherchera en vain dans les sources d’inspiration citées par Besix dans le projet de PRU l’exemple de Charleroi, où le centre commercial le plus fréquenté de Wallonie (Rive Gauche) a réussi en 4 ans à complètement cannibaliser l’attractivité du quartier de la ville basse.
Les pires craintes exprimées sur la RTBF avant son ouverture en 2016 se sont largement vérifiées 4 ans plus tard

Un petit coup d’oeil sur Google Street view vous permettra de vous projeter dans ce qui attend notre piétonnier namurois.

Un Lieu d’Expérience pour les Namurois ?
en tout cas, une expérience lucrative pour le promoteur, dont le projet va déstructurer durablement le quartier commercial historique.
Les rues piétonnes seront désertées et offriront le spectacle désolant de Charleroi ou Mons … Que viendraient encore chercher les visiteurs extérieurs dans une ville comme les autres ?

La diminution de la superficie commerciale (23.000 à 18.000 m²) par rapport aux projets précédents

  • Est une affirmation fausse. On mélange les superficies nettes et brutes pour faire croire à une diminution de la superficie commerciale. Ce projet de 18.000m² représente un apport de superficie commerciale supplémentaire de 25% par rapport à la situation existante à Namur à laquelle il faut encore ajouter les superficies dédiées à l’Horeca et aux services
  • Les promoteurs locaux contactés par le collectif s’accordent sur le fait que cette superficie commerciale va sensiblement impacter l’activité commerciale du centre et du bas de la ville. L’argument des 200m² censés limiter les transferts d’enseignes du centre ville vers le centre commercial est fallacieux. En effet, une étude AMCV de 2015 note que les grandes enseignes présentes à Namur occupent des superficies nettement moindres que celles occupées dans d’autres villes ; on peut donc supposer qu’elles profiteront de leur transfert pour adapter celles-ci à la hausse
  • De nombreuses cellules vides sont présentes à Namur; les nouvelles implantations avenue de la gare et rue de Fer (notamment : Actibel sur ex-magasins Optique Dieu) ne trouvent pas d’acquéreurs, et certains chantiers sont à l’arrêt (ancien cinéma Eldorado) ce qui dément le fait que certaines enseignes souhaiteraient quitter Namur par manque de place
  • Il nous revient également que plusieurs commerces souhaitent mettre fin à leur bail commercial ou conditionnent leur maintien dans les locaux à une baisse importante du montant de leurs loyers
  • Plus de 70 enseignes présentes à Namur ont déjà des implantations dans des centres commerciaux hors Namur et pourraient donc se montrer intéressées par un transfert ; le déplacement d’une partie d’entre elles (et notamment des enseignes dites  » locomotives ») impacterait durement l’activité commerciale du bas de la ville
  • La crise sanitaire actuelle n’a en rien impacté la volonté du promoteur de réduire ses surfaces de vente malgré l’augmentation du volume des ventes en ligne

Que de chemin parcouru depuis l’intention de départ en 2007 d’empêcher l’implantation d’un centre commercial en périphérie pour sauver le centre-ville !
On peut se demander 15 ans plus tard si le remède ne va pas finir par tuer le patient, à savoir l’attractivité du centre-ville historique pour ses consommateurs, ses résidents, et ses visiteurs.

Dans sa précipitation à faire aboutir les projets ficelés dans son accord électoral de 2018, la majorité aura bien du mal à convaince que sa priorité n°1 est de préparer le Namur d’après-COVID.